Françoise Baret, portrait d'une sorcière franc-comtoise
Sur la foi de témoignages de voisins et d’habitants du village, elle est condamnée à « estre conduitte ayant la hard [= la corde] au col au lieu où est dressé le signe patibulaire [= le gibet] dudit Arc, et là, estre par l’exécuteur de la haulte justice attachée et estranglée à l’un des pilliers d’icelluy tant que mort s’en ensuive. Ce fait, estre son corps bruslé et mis en cendre par ledit exécuteur, et en outre aux frais et mises de justice selon que le contient plus amplement ladite sentence. ».

Après qu’elle a fait appel de cette sentence, celle-ci est commuée le 20 décembre de la même année en bannissement perpétuel hors de Franche-Comté. Françoise Baret a dix jours pour se conformer à cette nouvelle décision.
Les Archives du Doubs conservent de nombreux documents judiciaires évoquant des procès de sorciers et sorcières, mais, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils ne concernent pas la période médiévale mais le XVIIe siècle, apogée de la chasse aux sorcières, en Franche-Comté comme ailleurs en Europe. Dans les près de 700 procès tenus entre 1598 et 1662, les accusés sont le plus souvent condamnés à la peine de mort (59 %) ou au bannissement (15 %). Près d’un sur quatre cependant est libéré à l’issue du procès.
De multiples raisons peuvent pousser à dénoncer un sorcier, mais c’est la connaissance des plantes et des remèdes qui est souvent mise en avant. Une guérison ratée, par exemple, peut provoquer la colère du malade ou de son entourage, qui soupçonne aussitôt une intention mauvaise. On peut aussi penser que la méfiance collective est entretenue par l’ambivalence de ces connaissances, qui s’étendent à la contraception ou l’avortement (crimes punis de mort). On retrouve également la dénonciation de pratiques jugées sataniques mais bien souvent liées au mélange entre ignorance et religiosité populaire. Évidemment, quand un guérisseur tient en plus des propos hostiles à un clergé décrit comme profiteur, incompétent voire incohérent (concubinage, gloutonnerie, cupidité), il aggrave son cas …
Si l’on trouve aussi bien des hommes que des femmes parmi les accusés, le crime de sorcellerie est surtout affaire de femmes. L’expression célèbre de Jules Michelet « pour un sorcier, dix-mille sorcières », quoique exagérée, reflète pourtant une réalité : si, en Franche-Comté, on trouve 70 % de femmes accusées contre 30 % d’hommes, la moyenne en Europe est plus proche de 80 % de femmes.
En effet, la femme est souvent considérée comme l’alliée, voire la servante naturelle, du Diable. Cette vision, qui s’explique notamment par la peur de la sexualité féminine et de ses manifestations (les règles par exemple), est entretenue par une certaine littérature cléricale anti-féminine. Les rédacteurs des manuels de démonologie (destinés à aider les juges à repérer et à caractériser la sorcellerie) contribuent à ancrer ce préjugé. Le Marteau des sorciers (1487), ouvrage de référence dans la lutte contre ce crime, utilise même une étymologie fantaisiste du mot femina (femme, en latin), soi-disant formé de fe (= foi) et minus (= moins), pour justifier la faiblesse de l’esprit féminin et son appétit pour les diableries. Il est d’ailleurs saisissant de constater que c’est sur ce même préjugé de crédulité et de faiblesse que s’appuieront les opposants au droit de vote des femmes des XIXe et XXe siècles (comme Charles Beauquier, député du Doubs, dans certains articles de la presse locale), présentant cette fois la femme comme soumise à l’influence politique… des prêtres.